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Extrait de

  " Une Bien Étrange Prisonnière"

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Les maisons de Lavardens flambaient. On entendait le cri des femmes violées, des mères éplorées, des agonisants. Les troupes avaient investi le château, mal protégé en ce temps de trêve entre l'Angleterre et la France. Sitôt qu'il avait débarqué en Aquitaine, le prince Édouard avait commencé une « chevauchée », comme on appelait ces campagnes de pillages dévastatrices. Il ravageait l'Armagnac et l'Astarc, s'enrichissant d'un butin abondant, et affaiblissant par la même occasion le roi Philippe VI. Certains gentilshommes gascons, « moult convoiteux », s'étaient alliés à lui, et tuaient sans vergogne leurs compatriotes restés fidèles à la France.

Du château perché sur sa plate-forme rocheuse et entouré de douves, les soldats descendaient, les épaules chargées de beaux tapis, de vaisselle précieuse, de draps, de coffres et d'écrins, de croix serties de pierres et autres merveilles. Édouard redressa sa large silhouette noire, heureux de cette dure journée. Il décida de rentrer à Bordeaux afin de mettre le butin à l'abri. Les prisonniers, des chevaliers mineurs de la comtée, étaient trop pauvres pour en obtenir rançon. Quelques Béarnais, appelés au secours, s'étaient joints à eux. L'Armagnac était mitoyen de leur terre, et ils craignaient les avancées des Anglais. Aujourd'hui, Woodstock leur ferait grâce. Il les aurait bien occis, comme il l'avait fait à la bataille de Crécy. Mais cet acte honteux lui avait valu les remontrances publiques de son père, humiliation dont il n'était toujours pas remis.

Le tumulte se calmait peu à peu. Seuls des sanglots épars et le crépitement des incendies dérangeaient le silence. Édouard humait l'odeur de sueur et de sang, de bois brûlé et de peur. Il se sentait vivant. Il avait besoin de l'excitation du combat pour vivre. Sans cela, il s'ennuyait. Le butin s'accumulait dans des tombereaux. Des soldats y attelèrent leurs montures. Le Prince Noir leva enfin la main et donna le signal du départ.

Sir John Chandos talonna son cheval pour se mettre à la hauteur de son élève. En effet, le roi Édouard d'Angleterre avait chargé ce capitaine hors du commun d'enseigner la tactique militaire à son fils, du moins officiellement. De manière plus officieuse, Sir John était censé modérer le caractère cruel et impétueux de l'héritier du trône. Le capitaine tourna une face allongée et pâle vers le prince.

- Il n'était pas nécessaire de tuer les femmes et les enfants, dit-il, glacial.

- Les enfants sont les futurs ennemis de l'Aquitaine, répondit Woodstock avec un haussement d'épaules. Quant aux femmes, elles les procréent. Tout cela affaiblit la France et ce n'est que bien.

En fait, il aimait tuer.

Le Prince Noir


 

L'épée traversa le ventre du manant dans un bruit mouillé. Édouard de Woodstock, fils du roi Édouard III d'Angleterre, scruta les yeux du blessé, comme un savant observe les étoiles. Ce n'était pas qu'un instant, on était en vie, l'instant d'après, on était mort. Non. Le phénomène était lent comme le soleil qui se couche. À force de tuer, il connaissait bien les différentes phases de l'agonie, et espérait en découvrir plus. Il contemplait d'abord la douleur, soudaine, fulgurante, la réaction primaire, la grimace instinctive où tous les muscles du visage se tétanisent. Puis la surprise. Qu'est-ce que ce mal qui déchire les entrailles ? Ensuite venait l'incompréhension, ce « que se passe-t-il ? », cet infime instant qui précède la peur, horrible, envahissante, quand l'être comprend qu'il va mourir.

C'était alors le moment que préférait Woodstock. Le blessé luttait désespérément, en dépit de la souffrance. Il s'accrochait à sa petite vie, si précieuse malgré le tourment enduré, ce qui intriguait d'ailleurs le prince. Puis les traits du mourant se teintaient de résignation. Les forces s'écoulaient du corps, comme un bassin qui se vide, jusqu'à cette ultime seconde où tout basculait. Vivant. Mort. Où était la différence ? Que n'arrivait-il pas à saisir ?

Il retira son arme sanglante, et enleva son heaume noir. Le vent souleva ses cheveux blonds, plus clairs que les longues moustaches tirant sur le roux, qui descendaient le long de ses joues jusqu'aux mâchoires. Il regarda autour de lui. Ses compagnons tranchaient, hachaient, pourfendaient le manant avec le même enthousiasme que lui. Là, Thomas Beauchamp, comte de Warwick, un homme d'une trentaine d'années au menton étroit et aux lèvres épaisses, poursuivait à cheval un adolescent en fuite. Le comte portait les cheveux courts sous son casque. À moins qu'il ne fût chauve. Personne n'en savait rien, car il ne se découvrait jamais le chef. Ici, Sir Henry Newbury, un homme massif, reprenait son souffle. Ses cheveux bruns tiraient sur le roux. Il avait ce visage typique de certains Anglais, rectangulaire, décidé, au teint un peu rouge et aux yeux clairs.

 


 

 

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Ils ont lu "Une bien étrange prisonnnière"

 

 

Vraiment bien écrit... et bien documenté, ce nouvel épisode d'Agnès Massion est une vraie réussite ! Quel plaisir de retrouver nos différents héros, Emma est vraiment une héroïne formidable, courageuse et battante, même dans les situations désespérées ! Heureusement, l'histoire se termine bien et le bonheur sera au rendez-vous, mais que de péripéties et de moments douloureux !

Sylvie

 

Formidable!! Nous retrouvons là notre héroïne toujours aussi indépendante, remplie de doutes mais forte ! J'ai ADORE cette trilogie (comme l'autre "LIF" d'ailleurs).

Emerod

 

 

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